jeudi 27 septembre 2018

Ishiro Honda - humanisme monstre de Fabien Mauro



Grand amateur des premiers Godzilla, de l'époque Showa, j'ai découvert grâce à un ami l'existence d'un livre écrit par Fabien Mauro*,  (le seul actuellement en français sans doute) sur l'oeuvre cinématographique d'Ishiro Honda, réalisateur du tout premier film de mon kaïju préféré.

Avant d'entrer dans le vif du sujet, j'aborderais exceptionnellement l'aspect "objet" du livre, lequel me paraît important dans un tel ouvrage.
Edité par les Editions Rouge Profond dans la collection Raccords, Ishiro Honda - humanisme monstre, est un ouvrage en format"grand poche" qui au premier abord ne laisse pas une impression exceptionnelle.

Avec une photo de couverture qui manquera d'être signifiante pour le contenu de l'ouvrage, ni ne sera d'une grande lisibilité (et ne parlons pas de la police du titre ou de la maison d'édition**), le lecteur aura peut-être une hésitation avant de se procurer un exemplaire.

En matière d'usage compulsif, la tranche collée perd rapidement de sa solidité et les pages se détachent. Une autre déception est la petite taille des extraits visuels, toutefois nombreux.

Il m'est aussi arrivé de détecter des coquilles, ce qui me semble anormal pour un ouvrage culturel, à fortiori de référence***.

Au delà de ces quelques réserves quant à l'objet, il faut saluer l'initiative de Rouge Profond pour avoir édité sur un sujet aussi pointu : le travail d'Ishiro Honda, principalement au titre de la SF. En effet Si Fabien Mauro n'oublie pas de mention son activité hors œuvres de l'imaginaire, ce sera en grande partie pour relater ses collaborations avec Akira Kurosawa.

Sur le fond, l'auteur s'attache à démontrer la place centrale dans la SF japonaise d'Ishiro Honda - et non uniquement dans le domaine du kaïju eiga -, mais aussi ses qualités de documentariste, pour ensuite développer les thématiques transversales à sa filmographie.

Le lecteur y trouvera une somme de références pouvant le guider dans sa connaissance du réalisateur ainsi qu'une porte sur l'histoire des effets spéciaux nippons de l'époque, portés par Eiji Tsuburaya.

Ainsi, dans un premier temps ce dernier avait envisagé d'employer les techniques de stop-motion pour Godzilla, comme pour le King Kong de 1933, mais devant le budget et le temps nécessaire, le spécialiste des effets spéciaux se redirigera vers l'utilisation savamment orchestrée de maquettes (et certaines scènes - hors acteurs déguisés, passent très bien le passage du temps) et d'acteurs revêtant des costumes de kaïjus.

De façon incidente et parce que Ishiro Honda est indissociable du célèbre kaïju, ce livre dévoile ce qui a fait les godzilla de la première époque, dépassant de simples films de divertissements.

Ils étaient l'occasion pour le réalisateur de parler de sujets de société et de capter l'atmosphère de l'époque (post guerre, conséquences d'Hiroshima et de Nagasaki, pour le premier, évolutions sociétales, économiques, rapports entre les pays pour les suivants) tout en n'oubliant jamais dans son aspect documentaire de montrer les paysages, la terre, et de parler de l'humain dans son individualité - ce qui a été vraisemblablement oublié dans shin godzilla (godzilla resurgence), dernier avatar actuel moderne du kaïju.

L'ouvrage montre également le rôle prépondérant de la production dans la tendance à humaniser et positiver le rôle de ces kaïjus pour toucher un public plus enfantin, malgré la désapprobation d'Ishiro Honda. 

Celui-ci aura également été l'auteur de films de SF intéressants pour l'époque tel que The first gas man, avant de se libérer de ses obligations envers la Tôhô et de retravailler avec Akira Kurosawa à partir de Kagemusha.

Quant aux thématiques transversales de l'oeuvre, la place du Japon et la notion d'utopie, des femmes, l'existence des monstres en tant que miroirs de l'âme humaine sont autant de sujets abordés dans cet ouvrage au demeurant passionnant pour l'amateur de SF japonaise ancienne, de kaïjus eiga ou des curieux de son oeuvre. Alors un livre à conseiller ? Absolument.








* Journaliste semble-t-il, intervenant notamment pour l'écran fantastique.
** ex : le mot profond est illisible sur la photo de couverture
*** p36 : "kodayama yondeiru" (un écho appelle) => le terme correct en japonais est kodama.
p87 : "La créature stoppe son les dégâts (...)"

samedi 22 septembre 2018

Cet été-là, j'étais soldat... de Kaneko Tôta


En matière de haïkus japonais, Kaneko Tôta fut sans doute l'auteur contemporain le plus important, traversant le vingtième siècle, et ses diverses évolutions esthétiques nippones (1).

Au-delà de son activité de haïjin, il tira de son expérience de la guerre les fondements de sa volonté de résistance à l'iniquité et de son engagement en société : syndicaliste pendant sa vie professionnelle, il apporta notamment son soutien aux mouvements pacifistes et de lutte contre le nucléaire après l'accident de Fukushima.

Naturellement, il calligraphia le slogan de ralliement des mouvements de protestations actuels "Abe seiji wo yurusanai" :


(lors d'un voyage en septembre 2017 - Nakano, quartier de Tokyo)

Ce sont les événements de ces dernières années qui l'incitèrent à rédiger et publier ses mémoires en 2016, sans doute avec la motivation de transmettre par son expérience cet esprit de résistance face aux résurgences des démons de la société japonaise.

Le livre "Cet été-là j'étais soldat", traduit par Laurent Mabesoone (un de ses disciples) et publié par les éditions Pippa en 2018, est ainsi une porte ouverte sur la vie et l'oeuvre de cet auteur encore méconnu en France et pourtant essentiel.

Enrichie de cartes, photos, d'un glossaire et d'un index de noms et prénoms, l'édition est didactique autant que possible et présente quelques haïkus du maître en japonais en caractères imprimés (et non les difficilement lisibles calligraphies pour un apprenant du japonais lambda), puis romajis (pour la musicalité du texte) avant sa traduction. Ce qui est un point essentiel selon moi pour une bonne édition de haïkus.

J'éprouve cependant un léger regret avec le caractère partiel de cette biographie (j'aurais apprécié une édition complète).

Je conclurai cette brève chronique avec un extrait des 40 haïkus de ces dernières années : 

雪積めど放射能あり流離かな

Yuki tsumedo hôshanô ari ryûri kana

Sous la neige,
Toujours là, la radioactivité.
Exode.


(1) Personnellement, son livre de haïkus pour débutants "haiku nyûmon" (en japonais) m'accompagne depuis longtemps dans ma pratique de composition.

mercredi 5 septembre 2018

La révolution Meiji


Dans le cadre de "Japonismes 2018", une série d'événements officiels (ou non, mais associés) marquant le 160e anniversaire des relations diplomatiques franco-japonaises (et le 150e anniversaire du début de l'ère Meiji), diverses initiatives complémentaires semblent profiter de cette actualité pour présenter une programmation en relation avec le Japon (et la rétrospective sur le réalisateur Ozu Yasujiro n'y est peut être pas étrangère).

A cette occasion, le Magazine Histoire & Civilisations, collaboration - semble-t-il - entre Le Monde et le National Geographic, dédie quelques pages à la thématique "JAPON MODERNE - Tout commence à l'ère Meiji -" (n°42 - 2018).

Découvrant ce magazine, en même temps que les articles plus spécifiquement dédiés au Japon, je me permettrais de glisser quelques mots sur cette édition.

D'un aspect global attractif, la revue met en lumière des sujets variés avec beaucoup de matériel visuel : des reproductions de photographies d'époques, de tableaux d'estampes ou des photographies d'objets issus de collections de musées...

Les articles, en effectuant un vrai travail de synthèse sur ces points précis de l'histoire, permettent une première approche pour les non spécialistes.

Le défaut structural de ce genre d'édition de collaboration entre le National Geographic et Le Monde, est le mélange d'articles internationaux (du NG), moins adaptés à notre réalité locale, traduits en français et d'articles plus spécifiques pour notre pays (Sans doute initiés par le Monde ?). 

Je suppose que ces articles internationaux, proviennent des stocks des différentes versions du NG à travers le monde, comme le premier article de "JAPON MODERNE - Tout commence à l'ère Meiji -", d'un universitaire espagnol (la mention de la traduction en français est bien présente). 

Ainsi, dans le premier article, après première partie somme toute intéressante, nous nous retrouvons avec un passage dédié à un espagnol, Gonzalo Jiménez de la Espada, traducteur de Cerventès au Japon sous l'ère Meiji. Il aurait été préférable et plus intéressant d'avoir une présentation des liens France Japon au travers de français présents là-bas à cette époque.


Concernant plus spécifiquement ce numéro, le dossier consacré au Japon occupe la partie centrale du magazine (P30 à 57) et se décline en 3 articles :

- "Le Japon s'ouvre au Monde" de José PazO Espinozza, professeur à l'université autonome de Madrid ;

- "Le Japon se réinvente" entretien avec avec Michael Lucken, historien spécialiste du Japon et professeur à l'INALCO ;

- "Le Japonisme, une passion française" d'Emilie Formoso, journaliste.

En conclusion, cela reste une approche intéressante de cette ère charnière qui a préparé le Japon à l'époque moderne, en 3 articles consacrés sur le sujet. 


Il me reste à découvrir le numéro aussi consacré à Meiji du magazine "L'histoire", mais j'en reparlerais une autre fois.



A compléter avec le passionnant documentaire diffusé sur Arte "Tokyo Cataclysmes et renaissances" d'Olivier Julien (adapté de Shinji Iwata), composé d'archives rares, sur les mutations de Tokyo et de ses habitants au travers d'inserts de témoignages d'époques, d'évocations (parfois brèves mais sérieusement présentées) de problématiques portant sur l'économie, la société, l'urbanisme...