mercredi 26 avril 2017

Shin Godzilla (2016) de Hideaki Anno et Shinji Higuchi


Shin godzilla (littéralement "nouveau/néo godzilla"), Aka Godzilla Resurgence, est le dernier film de la Toho sur le kaiju le plus célèbre, co-réalisé par Hideaki Anno ("Monsieur Evangelion") et Shinji Higuchi (qui a participé à Gamera, une autre série de kaiju à succès) en 2016.

Reboot officiel de Godzilla, l'ambition de ce film est de renouveler une licence et de se rapprocher - dans l'esprit au moins - du tout premier opus mais sans la mythologie des fictions successives.

- spoilers éventuels -

Après la première surprise de l'apparition du monstre* et de la réaction initiale des autorités, l'histoire prend la forme  de scènes d'expositions successives : une mise en lumière de la chaine de commandement japonaise, une enquête des scientifiques pour comprendre la nature de leur adversaire, une sorte de reportage de gestion de crise - avec des scènes de tanks, avions, hélicoptères envoyant leurs armes sur un kaiju assez statique, se déplaçant assez peu finalement (c'est assez pratique pour laisser le temps aux véhicules de frapper)-.

Nous assistons à un catalogue des conséquences d'une catastrophe :  un milieu urbain ravagé, forçant les habitants à l'évacuation, des pannes d'électricité gigantesques et des contaminations nucléaires...

Sans doute marqué - trop marqué -par le grand tremblement de terre et l'accident nucléaire de Fukushima, Shin Godzilla en oublie un peu ce qui faisait l'ADN de la franchise.
Il y gagne en froideur, avec la présentation chirurgicale d'une catastrophe jamais vue jusqu'à présent et des moyens , parfois dérisoires, des humains pour y faire face... Avec les défauts inhérents à chaque système organisationnel.
Mais ce film y perd aussi en émotions et son histoire manque d'engagements ou dons de soi en ne suivant pas le parcours intimiste de certains personnages, à l'instar des godzillas traditionnels qui suivaient toujours deux points de vue, le macro (la société face à la catastrophe) et le micro (une famille dans le cours des événements).

A la moitié de l'histoire, l’œuvre échoue à parler de l'universel et se transforme en une célébration patriotique globale de la résistance solitaire du peuple japonais envers et contre tous**.

La réalisation n'est pourtant pas mauvaise et la patte "d'Evangelion" apporte quelques visuels sensationnels. De plus la brochette d'acteurs locaux est impressionnante.

En terme de casting, un reproche pourrait être porté à cette habitude des japonaise dans certaines fictions, lorsqu'ils ont besoin d'un personnage étranger, de prendre un acteur japonais et de le bombarder "nippo-américain" pour plus de commodité linguistique (ici le personnage de Kayoko Ann Patterson). Cela enlève un peu de crédibilité à l'histoire.

En conclusion, je me suis assez ennuyé (particulièrement pendant la première moitié) en regardant cette nouvelle itération, qui tient plus du documentaire catastrophe "déguisé" en film de Godzilla. Les fans du vieux kaiju n'y trouveront peut-être pas leur compte, mais les amateurs de paraboles et d'Evangelion, qui sait ?

A noter que cet opus semble avoir bien marché au Japon et gagné "l'Oscar nippon" du meilleur film. 

Pour un autre son de cloche : ici.


* Un Godzilla qui m'a visuellement assez déçu, en images de synthèses... 
** Avec une petite pique aux américains qui sont prets à lancer une bombe atomique sur Tokyo.

vendredi 14 avril 2017

ghost in the shell : une digestion hollywoodienne en manque de génie



Synopsis : Dans un futur proche, le Major est unique en son genre: humaine sauvée d’un terrible accident, son corps aux capacités cybernétiques lui permet de lutter contre les plus dangereux criminels. Face à une menace d’un nouveau genre qui permet de pirater et de contrôler les esprits, le Major est la seule à pouvoir la combattre. Alors qu’elle s’apprête à affronter ce nouvel ennemi, elle découvre qu’on lui a menti : sa vie n’a pas été sauvée, on la lui a volée. Rien ne l’arrêtera pour comprendre son passé, trouver les responsables et les empêcher de recommencer avec d’autres.

- Attention : quelques spoilers -

Ghost in the shell ou 攻殻機動隊, Kōkaku kidōtai, est une une oeuvre colossale de la SF cyberpunk des années 90 : d'abord un manga (89-97) de Masamune Shirow, puis des déclinaisons animées dont le premier film au cinéma de Mamoru Oshii....Avec ses divers opus, il constitue un univers original mais comportant quelques incohérences toutefois.

J'ai eu l'occasion d'aller voir l'adaptation "live", réalisée par Rupert Sanders en 2017 - à qui l'on doit également Blanche Neige et les chasseurs (une grosse production hollywoodienne standard) -. J'étais assez dubitatif avant de rentrer dans la salle de cinéma, m'interrogeant sur la capacité à matérialiser en cinéma US cette oeuvre colossale de la SF cyberpunk qui fusionne les problématiques d'alors : sociétés hypertechnologiques, éclatement du pouvoir politique, émergence des cyborgs et IA...

Il faut avouer aussi que j'avais été très étonné en découvrant le casting, avec au premier plan Motoko jouée par Scarlett Johansson - la crainte d'y voir un white washing, ne me rassurait pas non plus * -.
J'ai toutefois souri à Takeshi Kitano en vieux badass et apprécié sa présence**, m'évoquant ses anciens rôles de porte flingues... Juliette Binoche n'était pas désagréable non plus.

J'en suis ressorti partagé avec le sentiment d'avoir assisté à une assez bonne digestion hollywoodienne, mais en manque de génie.

D'abord la réalisation, de nature vidéo clipesque, qui achoppe sur la longueur des scènes et créé le plus souvent des vignettes successives sans permettre au spectateur une immersion véritable, ce qui faisait la force du film animé de 1995.

A l'intérieur de ces vignettes, la ville du futur (avec des faux airs de blade runner) est fortement mise en valeur, comme un personnage à elle toute seule... Et parfois trop, en surreprésentation, gâchant encore plus les moments d'immersion nécessaire, comme la scène où Mokoto plonge dans la baie.

Aussi, la présence des interdits hollywoodiens atténue le sens et les thématiques du film. Un exemple : le remplacement du corps nu (en apparence très humain) de Mokoto Kusanagi par une combinaison, dans la première scène d'action. La pruderie en vogue applique ainsi un filtre à une oeuvre géniale, en oubliant le point important : la vision de ce corps nu, très humain en apparence, constituait une représentation symbolique de l'atténuation des frontières entre l'homme et la machine. 



Le film possède également la volonté de prendre en main le spectateur, de lui donner toutes les clés du monde par des textes de mise en contexte ou des explications données par les personnages. L'immersion est encore une fois sacrifiée sur l'autel de la compréhension de tous.

Quant à l'histoire nous retrouvons les inconvénients de cette digestion imparfaite avec un scénario qui semble prendre des éléments des différents opus et impose une vague d'histoire d'amour, ou apporte une vision plus manichéenne des dangers de la technologie (polarité entre excès de la technologie et rebelles). 

Le scénario fonctionne en tout cas, et hors de contexte des oeuvres originales, nous aurions un assez bon film de SF bien formaté grand public : les images sont jolies, le casting joue bien, l'histoire se déroule sans accrocs

Quant au sens de l'oeuvre, le film se détourne du propos de ses prédécesseurs, avec une Mokoto amnésique, obsédée par la recherche de son passé, clé de son identité, lui permettant de définir ce qu'elle est (cadré par deux phrases sentencieuses de Binoche et Kitano), nonobstant son caractère de cyborg.

L'histoire appuie d'ailleurs un rôle d'asservissement donné par la technologie : celui des puissants qui la maitrisent.

A l'opposé, le film d'animation de 1995 se positionnait beaucoup plus dans la recherche de la nature humaine dans ces sociétés hypertechnologiques (la fusion entre l'IA et Mokoto dans cette fiction tiens plus de l'évolution dans la continuité).

Hollywood s'est sans aucun doute mépris sur le sens à apporter aux oeuvres précédentes, peut-être par manque de connaissances du contexte culturel nippon.

C'est qu'au Japon il n'y a pas de rapports hostiles à la technologie (à l'inverse de l'occident) : cela se remarque dans les fictions et légendes et légendes (ici : le golem, l'île du Dr Moreau, le monstre de Frankenstein, terminator, etc...) ou les religions qui influent sur le rapport au monde (le shintoisme, dans lequel toute chose peut receler un kami VS les religions du livre qui opèrent une frontière bien nette entre l'homme et le reste).

En conclusion, si l'adaptation hollywoodienne a échoué à transposer l'âme de l’œuvre originelle, elle constitue une itération formelle simplifiée mais intéressante.

* mais "ce visage" peut trouver une explication avec le scénario.
** Kitano est l'unique acteur parlant en japonais dans tout le film. Cette curiosité n'a pas facilité la séance pour certains amis (japonais).